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Personnes âgées ?
vendredi 7 avril 2006
Le Projet
Appeler un chat, un chat ?
Quand on est petit, on est « jeune » ou « enfant ». C’est simple.
Quand on est grand, c’est encore plus simple. On est « adulte ».
Mais quand on est vieux, ce que je suis un peu, c’est beaucoup plus compliqué. Les mots fleurissent. Il y en a de toutes sortes. Comme si on avait du mal à appeler « vieux », un « vieux ». Moi ça ne me gênerait pas que l’on m’appelle comme ça. Ce qui me gêne, c’est que l’on m’en donne de toutes les couleurs, de tous les genres, de toutes les sortes. Presque comme si, arrivé à un certain âge, on avait du mal à vous nommer.
C’est un peu la même chose avec les « pauvres ». On leur trouve de jolis surnoms : « précaires », « RMIstes », « SDF »...
Pareil pour les balayeurs qui deviennent des « techniciens de surface ».
Dans le bouquet des mots désignant des personnes qui ont accumulé des années, on peut retrouver : « Personnes âgées », « 3ème âge », « Anciens », « Vétérans », « Seniors », « Carte Vermeille », « Grand âge »... J’en oublie certainement puisqu’on en invente tous les jours.
Je me dis que devenir « vieux » ne doit pas être une bonne chose puisqu’on en vient à vous appeler autrement, puisqu’on en vient à fabriquer de la « langue de coton ». Moi, j’aime bien le mot « vieux ». Il me parle, me dit que j’en ai vu de toutes les couleurs et que je suis encore là, présent, au poste, aux aguets... Et puis, dans la forêt on préfère admirer un vieux chêne plutôt qu’un jeune, qui lui n’a pas beaucoup d’intérêt.
Ma grand-mère disait toujours « Il faut appeler un chat, un chat ». Partant de ce sage principe, j’en conclue, avec mémé : « Il faut appeler un vieux, un vieux ! »
Bon, d’accord, c’est le vieux Robert qui parle. Mais peut-être que ceux qui ont mon âge ne seront pas d’accord et souhaiteront qu’on les appelle autrement. Avec moi, vous pouvez y aller, ne prenez pas de gant.
Le crépuscule des vieux (SOL)
Texte de Marc Favreau
Des fois, j’ai hâte d’être un vieux. Ils sont bien, les Vieux, on est bon pour eux, ils sont bien. Ils ont personne qui les force à travailler ; on veut pas qu’ils se fatiguent. Même que la plusspart du temps, on les laisse pas finir leur ouvrage. On les stoppe, on les interruptionne, on les retraite fermée. On leur donne leur appréhension de vieillesse et ils sont en vacances...
Ah ! Ils sont bien les Vieux !
Et puis, comme ils ont fini de grandir, ils ont pas besoin de manger tant tellement beaucoup. Ils ont personne qui les force à manger. Alors de temps en temps, ils se croquevillent un petit biscuit ou bien ils se retartinent du pain avec du beurre d’arrache-pied, ou bien ils regardent pousser leur rhubarbe dans leur soupe...
Ils sont bien...
Jamais ils sont pressés non plus. Ils ont tout leur bon vieux temps. Ils ont personne qui les force à aller vite ; ils peuvent mettre des heures et des heures à tergiverser la rue... Et plus ils sont vieux, plus on est bon pour eux. On les laisse même plus marcher... On les roule...
Et puis d’ailleurs, ils auraient même pas besoin de sortir du tout ; ils ont personne qui les attendresse... Et l’hiver... Ouille, l’hiver ! C’est là qu’ils sont le mieux, les vieux ; ils ont pas besoin de douzaines de quatorze soleils... Non ! On leur donne un foyer, un beau petit foyer modique qui décrépite, pour qu’ils se chaufferettent les mitaines...
Ouille, oui l’hiver, ils sont bien.
Ils sont drôlement bien isolés...
Ils ont personne qui les dérange. Personne pour les empêcher de bercer leur ennuitouflé... Tranquillement, ils effeuillettent et revisionnent leur jeunesse rétroactive ; qu’ils oublient à mesure sur leur vieille malcommode...
Ah ! Ils sont bien...!
Sur leur guéridon, par exemple, ils ont une bouteille, petite, bleue. Et quand ils ont des maux, les vieux, des maux qu’ils peuvent pas comprendre, des maux mystères ; alors à la petite cuiller, ils les endorlotent et les amadouillent...
Ils ont personne qui les garde malades. Ils ont personne pour les assistés soucieux...
Ils sont drôlement bien...!
Ils ont même pas besoin d’horloge non plus, pour entendre les aiguilles tricoter les secondes...
Ils ont personne qui les empêche d’avoir l’oreillette en dedans, pour écouter leur coeur qui grelinde et qui frilotte, pour écouter leur corps se débattre tout seul...
Ils ont personne qui...
Ils ont personne...
Personne...
Jules Renard
Jules Renard
La vieillesse, c’est quand on commence à dire : « Jamais je ne me suis senti aussi jeune. »
Journal de Jules Renard 1893-1898
Papa, aujourd’hui, met des gants comme un jeune homme. C’est une coquetterie qui lui vient sur le tard. Si on lui demandait pourquoi, il répondrait que la vieillesse lui glace déjà le bout des doigts.
Journal de Jules Renard 1887-1892
La vieillesse arrive brusquement, comme la neige. Un matin, au réveil, on s’aperçoit que tout est blanc.
Journal de Jules Renard 1894-1904
Il leur paraît si naturel que la vieillesse soit misérable que, le mendiant, ils l’appellent « un vieux ».
Journal de Jules Renard 1894-1904
Quand on se réjouit d’être jeune, et qu’on remarque qu’on se porte bien, c’est la vieillesse.
Journal de Jules Renard 1894-1904
Cousine Nanette. La peur de la mort lui fait une vieillesse douloureuse. Elle geint, elle traîne la jambe, elle a l’orgueil d’être la plus malheureuse des femmes. Je lui crie :
C’est la jeunesse !
Ça la fait rire et pleurer.
Son Lexandre a eu mal au coeur cette nuit.
Mal au coeur, à son âge, croyez-vous ça ! Oui, c’est bien étonnant. A cet âge-là - quatre-vingt-deux ans - il devrait être mort.
Journal de Jules Renard 1894-1904
Papa occupait le meilleur de sa vieillesse à couper des guêpes.
Journal de Jules Renard 1894-1904
La vieillesse n’existe pas. Du moins ne souffrons-nous pas d’une vieillesse continue à la fin de notre vie : comme les arbres, tous les ans nous avons nos accès de vieillesse. Nous perdons nos feuilles, notre bonne humeur, notre goût de la vie, puis ça revient.
Nous n’avons pas une enfance, une maturité, une vieillesse : plusieurs fois dans la vie nous avons nos saisons, mais leur cours nous reste mal connu.
Journal de Jules Renard 1905-1910
Et voilà qu’on analyse des petites bouteilles de mon urine, et j’ai de l’albumine. Et, avec un petit appareil qui tient de la boussole et du chronomètre, Renault prend la pression de mes artères, et l’aiguille marque vingt. C’est trop. Mes artères, quoique très souples, battent trop fort. Il va falloir prendre des notes sur ma vieillesse.
Journal de Jules Renard 1905-1910
Herman Hesse
Bref extrait de l’Éloge de la vieillesse d’Hermann Hesse
« Lorsque l’homme commence à décliner, après avoir atteint le faîte de son existence, il se débat ainsi contre la mort, les flétrissures de l’âge, contre le froid de l’univers qui s’insinue en lui, contre le froid qui pénètre son propre sang. Avec une ardeur renouvelée, il se laisse envahir par les petits jeux, par les sonorités de l’existence, par les mille beautés gracieuses qui ornent sa surface, par les douces ondées de couleur, les ombres fugitives des nuages. Il s’accroche, à la fois souriant et craintif, à ce qu’il y a de plus éphémère, tourne son regard vers la mort qui lui inspire angoisse, qui lui inspire réconfort, et apprend ainsi avec effroi l’art de savoir mourir. C’est là que réside la frontière entre la jeunesse et la vieillesse. Plus d’un l’a déjà franchie à quarante ans ou plus tôt encore, plus d’un ne la sent que plus tard, à la cinquantaine ou à la soixantaine. Mais c’est toujours la même chose : au lieu de nous consacrer à l’art de vivre, nous commençons à nous tourner vers cet autre art, au lieu de façonner et d’affiner notre personnalité, nous sommes de plus en plus occupés à la déconstruire, à la dissoudre et soudain, presque du jour au lendemain, nous avons le sentiment d’être devenus vieux. Les pensées, les centres d’intérêt et les sentiments de la jeunesse nous sont désormais étrangers. C’est dans ces instants où l’on passe d’un âge à un autre que le spectacle discret et délicat de l’été qui s’éteint et disparaît progressivement peut nous saisir et nous émouvoir, emplir notre cœur d’étonnement et d’horreur, nous faire trembler et sourire à la fois. »