« La carte de crédule »

Tu parles qu’on a tout pour se ruiner
on n’a même pas besoin de sous
on a le crédule !
Ça le crédule c’est esstradinaire
le crédule il croit que t’as des sous
alors il te fait des avances
il te prête
il te prête surtout de bonnes intentions
il te laisse sa petite carte
et avec ça t’as plus besoin de sous
jamais
C’est la carte de crédule !

Avec ta carte de crédule
tu te ruines tu t’en aperçois même pas.
Avec elle tu peux tout avoir
n’importe où.
Tu entres dans un magasin à rayures
tu commences par le rez-de-chaussette
et tu peux monter jusqu’au dixième étalage
c’est plein de choses...
Avec la carte tu peux tout avoir.

Moi je regarde je nous regarde faire
Souvent je promène mon œil sur la rue Sainte-Vitrine
et je voye faire les gens
c’est toute une histoire...
D’abord y a deux sortes de monde
y a ceux qui courent pour acheter
c’est les pliants.
Et puis y a ceux qui restent là
qui attendent les pliants : c’est les marchands.
C’est bizarre d’ailleurs
Je ne sais pas pourquoi on appelle ça des marchands
ils bougent pas...

Qui c’est qui marche ? C’est l’autre.
Qui c’est qui fait ses courses ?
Qui c’est qui se dépense l’énergumène ?
Qui c’est qui saute sur les occasions ?
Qui c’est qui marchande ?
C’est pas le marchand
c’est l’autre.
Le marchand reste là derrière son escomptoir
et quand le pliant arrive il frotte ses mains
et quand le pliant a plié il est content
il Joue d’la caisse
et il frotte encore les mains !...
En tout cas si y en a un
qui doit avoir les mains propres
c’est bien lui !

Des fois y a des pliants qui reviennent
pas contents
et qui poussent des complaintes
qui se mettent à crier
qui deviennent vociféroces
tant tellement que c’est plus des pliants
c’est des criants !
Heureusement ils sont rares.
La criantèle, elle est moins nombreuse que la pliantèle...

En tout cas moi je peux le dire
les marchands font beaucoup pour notre ruine
leurs magasins sont toujours pleins pleins
de vantardises pas chères
ils laissent tout aller pour prexe rien
ils baissent les prix
même que des fois sont tellement bas
il faut descendre pour les trouver
jusqu’au sous-solde !

Y en a qui liquident tout
n’importe comment
y en a même qui liquident leur personnel.
Je l’ai vu moi-même en grosses lettres :
grande vente d’inventeur,
faut liquider notre inventeur !

On vend vraiment n’importe qui ou presque...
J’ai même vu : grande vente de Blanc !
Avant y a très énormément longtemps
c’était les Noirs qu’on vendait...
Mais le marché noir bon
on a stoppé ça c’est fini.
Maintenant si on se met à vendre des Blancs
c’est que la mode a drôlement changé...

J’en vois des choses... et j’en entends aussi.

L’autre jour tiens j’entre dans un magasin plein de meubles.
Y avait de tout : des inévitables à café...
des lits avec leurs tables de nuisance...
des chaises perceuses...
des divins profonds pour s’éprendre...
des fauteuils...
et même des vrais...
des poêles superflus...
des fours incrustés... de tout !

Et qu’est-ce que j’entends tout à coup ?
Un monsieur qui dit

—  Je serche une bonne cuisinière.

—  Une cuisinière à gaz ?

—  Non non éclectique.

—  J’en ai une esstradinaire vous allez sûrement l’acheter
c’est notre meilleur vendeur
et le service à plat ventre est compris !

Tu te rends compte ?
Pôvre monsieur...
il voulait une cuisinière et il a fini par acheter
le meilleur vendeur qui fait le service à plat ventre...

Si au moins il avait choisi la meilleure vendeuse
l’aurais compris...
Et encore là c’est pas sûr...
si le meilleur vendeur était une cuisinière
peut-être que la meilleure vendeuse aurait été un
réfrigidaire....

\jc monde achète vraiment n’importe qui.

Tiens en sortant de là
l’entends deux femmes sur le trottinoir :

— Ma chère tu sais mon petit tailleur c’est ici que je l’ai acheté.

Là je m’a dit ça c’est fort ! Si les patrons
se mettent à vendre leurs tailleurs...!
Et puis son amie :

—  Tu le portes souvent ?

—  À la journée longue, tout le monde me regarde.

Ouille la pôvre... elle le porte en pluss !
Je me voye moi avec un tailleur sur les épaules
je me ferais regarder c’est sûr !
Et puis à la journée longue ça doit être lourd
y en a qui s’en mettent beaucoup sur le dos...
Et l’autre qui lui demande :

—  Tu l’as payé cher ton tailleur ?

—  Penses-tu je l’ai eu pour une chanson...

Là quand j’ai entendu ça je m’a dit pour une chanson
c’est vraiment pas cher.
Je file dans le magasin et je demande un tailleur.
Le vendeur se met à rigoler :

—  Un tailleur pour vous ?

—  C’est pas pour le porter c’est pour mon manteau,
si j’avais un tailleur il pourrait m’arranger mon
manteau.

—  Sortez, monsieur !
je dis bon bon d’accord et je sors ma chanson :

—  Au clair de la lune...

—  Ça va pas non ? qu’il me dit

—  Bon bon si ça va pas j’en ai une autre :
Frère Jacques frère Jacques...

Mais là j’ai même pas réussi à me rendre à dormez-vous
que je me suis retrouvé dehors
en train de me faire sonner les matines...!

Et quand je me suis réveillé
la dame parlait encore de son tailleur :

— Et puis l’année prochaine si la mode change
je pourrai toujours le pincer à la taille
je pourrai le racourcir
lui rétrécir les épaules
peut-être même le teindre en bleu...

Pôvre tailleur ! J’expère qu’il était pas au courant !

Là-dessus je m’a vite sauvé je pouvais plus entendre ça...
Et en courant je passe devant un vendeur d’autos...
Ça disait : « Votre concessionnaire »
Ça m’a surpris.
Ouille !
l’ai un concessionnaire et je le savais même pas !
l’entre pour voir de quoi il avait l’air
un vendeur tout propre arrive en frottant les mains...

—  Bonjour mon concessionnaire

—  Bonjour qu’est-ce que je peux vous offrir ?
Un cougar ? Un lynx ? Une chèvre au lait ?
Un taureaunado ? Un bronco ?
l’ai même une belle crevette toute rouge de l’année
dernière !

—  C’est gentil mais j’ai pas besoin d’un animal...
surtout pas une crevette...!

—  Je peux vous vendre autre chose qu’il me dit
si vous voulez pas une américaine
vous aimeriez peut-être une anglaise ? une française ?
une italienne ? une allemande...?

—  Malheur ! Que je m’a dit
Je suis tombé sur un vendeur de femmes !

—  Attendez qu’il me dit...
SI vous trouvez ça trop cher
|c peux vous vendre un démonstrateur.

—  Un démonstrateur ? Qu’est-ce que ça fait un
démonstrateur ?

—  Ça roule aussi bien qu’un autre.

—  Mais je veux pas me faire rouler
surtout pas par un démonstrateur !

—  Attendez d’avoir vu qu’il me dit :
c’est une petite japonaise très propre...
bonne conduite
facile...
et quand vous aurez vu la couleur !

—  Comment, elle n’est pas jaune ?

—  Non, c’est une japonaise deux tons :
elle est verte avec juste un petit peu de rouille...
je vous la laisse pour une bouchée de pain.

—  D’accord d’accord que j’ai dit, ça tombe bien...

Et j’ai sorti un croûton que j’avais justement...
Alors là il a fait une drôle de tête
et j’ai eu beau lui offrir une tranche
puis une autre rien à faire
même le pain complet il l’a pas pris !

Il l’a tellement pas pris
que je m’a retrouvé dehors.

Dommage
ça aurait été agréable...
Je me voye dans la rue promener ma petite
japonaise verte avec des taches de rousseur...
Tout le monde nous aurait regardés.
Et puis c’est moins fatigant que de porter un tailleur...

En tout cas ce jour-là j’ai compris
j’ai compris que les concessionnaires
ils sont pas là pour faire des concessions...!