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L’identité
Chronique du 16 avril 2006
samedi 7 septembre 2013
Si on lui dit « identité », il se met en marche et nous fabrique, des mots, des mots...
Des phrases
On l’écoute ?

Trop vite ?
Cette semaine, parlons de l’identité des peuples. Dans le monde cosmopolite où nous vivons, chacun se réclame d’un village propre : corse, breton, basque, auvergnat, sans oublier, à Paris, les p’tits gars de Ménilmontant ou de la Bastoche, ou, à Lyon, les gones, les Occitans...
Merci pour les Occitans...
Et les Périgourdins ! C’est la lutte permanente entre le village local et la ville mondiale. Alors, qu’est-ce que l’identité ?
Un tic de langage. On entend partout parler d’identité. On la décline avec divers adjectifs. On dit « identité régionale », vous venez de citer les Occitans ou les Bretons. « Identité culturelle », avec l’exception culturelle. On dit volontiers « identité sexuelle » : je suis une femme et non pas un homme. « Identité religieuse » : on le dit pour les juifs, les catholiques, les musulmans, etc. « Identité langagière »...
Les protestants, qu’on oublie toujours...
Les protestants, pardonnez-moi ! Que veut dire « identité » ? Merci de poser la question. Pour y répondre, permettez-moi de parler de moi puisque mon identité, c’est
d’être Michel Serres. Je vais donc sortir ma carte d’identité...
... qui n’est pas obligatoire.
Qu’est-ce qui est marqué dessus ? D’abord mon nom. Je m’appelle Serres. Ce n’est pas mon identité puisque, de par le monde, beaucoup de gens portent ce nom. Au Portugal, en Espagne, en France, en Italie... Tous les noms qui veulent dire la
« montagne », sierra. Je fais donc partie d’un groupe assez large de gens qui portent ce nom. Ce n’est pas mon identité, c’est l’une de mes appartenances. J’appartiens au sous-ensemble des humains qui s’appellent Serres. Ensuite, j’ai un prénom : Michel.
Comme moi.
Nous appartenons à un groupe assez large - Michel, Miguel, Mickaël... - qui se décline dans beaucoup de langues. Il doit y avoir quelques centaines de mille personnes qui portent ce prénom-là. Là encore, « Michel Serres » n’est pas mon identité. C’est une appartenance parmi d’autres. J’appartiens au groupe de gens qui s’appellent Serres. J’appartiens au groupe des gens qui se prénomment Michel. Continuons. Il est écrit que je suis né le 1er septembre. L’année est quant à elle préhistorique...
Ça ne remonte pas à si loin que ça...
Le nombre de gens qui sont nés ce jour-là est lui aussi considérable de par le monde. Il doit y en avoir des millions. Ce n’est donc toujours pas mon identité puisque j’appartiens à ce groupe-là. D’autre part, je suis né en Occitanie, je suis occitan. Que dis-je ? non, je ne suis pas occitan, c’est mon appartenance. Je suis né à tel endroit, qui se trouve en effet dans le sud-ouest de la France...
...pas loin d’Agen...
Mon accent en témoigne. Est aussi indiqué mon sexe. Là, je fais partie des trois milliards sept cent cinquante millions de personnes dotées d’un sexe masculin. Là aussi j’appartiens à un groupe fort nombreux. Il y a même ma taille. Je mesure 1,80 m. Un nombre respectable de gens mesurent cette même taille. Par conséquent, sur ma carte d’identité, il n’y a jamais mon identité.
Rien qui vous concerne directement..
Rien que mes appartenances. Dans certains pays, sur la carte en question figurent même votre religion, votre origine. Voire, comme aux États-Unis, votre ethnie...
...la couleur de votre peau...
De nouveau, il ne s’agit pas là d’identité, mais d’appartenance. La confusion entre identité et appartenance est quotidienne. « Identité culturelle », ça ne veut rien dire.
J’appartiens à cette culture. « Identité sexuelle » ne veut rien dire non plus. J’appartiens à tel sexe. Parler d’« identité régionale » n’a pas plus de sens. Alors, l’identité, qu’est-ce que c’est ? C’est « je suis moi », point final. Dans tous les autres cas, il s’agit d’appartenances.
Mais comme puis-je me définir si je ne tiens pas compte de mes appartenances ?
Je vais vous le dire. La police peut me repérer grâce à ce type d’appartenance. II n’y a qu’à faire des recoupements d’appartenances. Mais j’appartiens à beaucoup d’autres groupes. J’appartiens au groupe qui a fait tel type d’études. J’appartiens aux anciens joueurs de rugby. J’appartiens aux alpinistes...
... aux amis de France Info...
... à ceux qui parlent l’anglais, etc. Mais on confond encore et toujours identité et appartenance. L’une se marque avec trois petits traits (s), l’autre avec une sorte d’epsilon, qui ressemble à un euro (e ). C’est une erreur logique. Certes, ce n’est pas très grave. Je commets tous les jours des erreurs logiques, comme vous, comme beaucoup de nos auditeurs. C’est en fait plus qu’une erreur logique. C’est une erreur politique, et peut-être un crime politique. Qu’est-ce que le racisme en effet ? Le racisme, c’est justement la confusion de l’identité et de l’appartenance. Si vous dites de quelqu’un qu’il est noir, qu’il est africain, qu’il est juif, qu’il est catholique, qu’il est protestant, la persécution vient toujours de là. Au lieu de dire que ce quelqu’un est un
individu, vous le réduisez à son appartenance à un groupe. Et ce groupe-là peut être désigné comme persécuté. Par conséquent, ce tic de langage qui nous fait tout le temps parler d’« identité culturelle », etc., est dangereux. Ce n’est pas seulement une
erreur logique, comme j’ai essayé de le démontrer en analysant ma carte d’identité. C’est aussi un crime politique qui peut être vraiment dommageable à l’humanité.
Que préconiseriez-vous pour que l’on évite de commettre ce genre d’erreur ? Car, dans notre logique, on n’a pas de solution.
J’aimerais que l’on utilise le terme « appartenance ». « C’est mon appartenance. » « Je suis occitan » ne veut rien dire. J’appartiens au groupe de gens qui sont nés en Occitanie, dont les parents parlaient occitan et qui portent sur leurs épaules la
culture occitane.
Cela mettrait-il les Occitans à l’abri du racisme ?
Oui. Ce sont souvent des tics de langage, en particulier ces jugements par catégories, qui induisent des conduites sociopolitiques abominables. Si l’on gardait le mot « identité » seulement pour les individus, sans doute finirait-on par les respecter.